CULTURE / INFORMATIONS

PERPETUER LES METIERS
TRADITIONNELS : LE HAKAMA

 

Auteur : Traduction d'une fiche d'information de deux pages mise à la disposition du public durant les démonstrations "en direct" de monsieur YOKOGAWA, lors du Kyoto taikai de mai 2001.

(photos: Georges BRESSET et Katsunori TAKANE)

Les noms de lieux qui fleurissaient dans le Tôkyô d'antan ont disparu les uns après les autres ; mais proche de Akasaka et Roppongi subsiste Azabu Jûban (1).
Si on cherche ce lieu sur une carte, il occupe une étroite parcelle du quartier Minato, mais, très fréquenté à partir de l'époque Edo, sensiblement sous le gouvernement du 8e shôgun Tokugawa (Yoshimune) il avait été aménagé en terrain d'équitation.

Comme le Hirabakama (Hakama long) que portaient habituellement les Bushi se ceignait sur une longue veste, le Machi (2) et le Haihiki (3) prenaient très bas.

Jusqu'à la première partie de la période Edo, pour monter à cheval ou pour combattre, ils portaient des jambières sur un Hakama court, le Tattsukebakama; mais la période Genroku (4) fut aussi pour le bushi celle du hirabakama. Mais monter à cheval avec celui-ci fut certainement du plus incommode.

Pour les bushi qui s'exerçaient à l'équitation sur le terrain d'Azabu Jûban, le machi et le haihiki remontèrent, selon les besoins de chacun.
Les gens l'avaient dénommé le "jûbanbakama" (hakama du lot n°10), ou "umanori jûbanbakama" (hakama de monte du lot n°10).

"On a dit que c'était le pantalon d'intérieur de grand-père ; mais il n'empêche que ce umanoribakama est le modèle original du hakama de Kendô actuel.
Bien adapté au mouvement, il n'est pas qu'un vêtement de cérémonie. Il est aussi utilisé dans le Kendô et dans le spectacle.
Hakama de mariage, hakama de cérémonie de fins d'études pour étudiantes, hakama de Rôkyoku (5), tous de belle allure, sont des Andonbakama (6) sans machi.
Dernièrement, des commandes ont été passées pour des hakama destinés à être portés lors de cérémonies et dans la pratique du Iaido, avec un machi légèrement rehaussé.
En outre, on définit généralement le hakama par les préfixes numériques hitogoshi ou hitoyuki, mais nous autres professionnels le désignons depuis très longtemps par hitogu et nous le traitons telle une partie de l'équipement"
, nous explique Jûji YOKOGAWA , 3è génération d'une lignée de fabricants de hakama.
Un parcours professionnel de plus de trente ans.

Le nom du quartier où habite M.Yokogawa a changé pour, de Shitagaya Inari, devenir Higashi Ueno, qui, comme Asakusa, abritait des artistes de rues tels les conteurs de Rakugo (7) qui s'hébergeaient dans de nombreux temples de ces quartiers populaires.

C'est là que dans leur atelier, sa mère Uta agée de 81 ans, Sumiko épouse de son frère cadet Hideo, leur fils Takeshi qui représente la 4è génération, se consacrent en famille à la fabrication des hakama du Budo (Kendô, iaido, aikidô, kyûdô) et de ceux du monde du spectacle classique et de la culture.

La surface de tissu nécessaire à la confection d'un hakama par rapport à un kimono est supérieure de quatre centimètres.
D'après M.Yokogawa dans un umanoribakama on peut faire un complet veston, gilet compris.
Et naturellement si on coupe un hakama avec la quantité de tissu nécessaire à un kimono, les plis du hakama sont peu profonds, et non seulement il ne remplit pas sa fonction, mais sa beauté en est altérée.

Le style du hakama est donné par les plis biseautés rentrés en forme de feuille de Sasa (8) qui partent du devant de la taille à l'endroit des ouvertures latérales, là où s'insèrent les rubans de devant. Coudre ces parties à la main est mieux, car la courbe convenable à la forme du "sasa" ne tient pas seulement au coup de main. C'est une technique traditionnelle transmise.
C'est d'un niveau plus bas que l'extrémité du Sasahida (9) que partent les coutures formant l'entrejambes jusqu'au bas de hakama.

... Faufilage et
fixation des plis ...

Devant, il y a cinq plis visibles.
JIN, GI, REI, CHI, SHIN : humanité, justice, courtoisie, sagesse, confiance, sont les définitions correctes de chacun d'eux. Ils constituent la voie des cinq principes coutumiers.

Trois plis partent de la gauche du hakama, mais des trois plis qui partent de la droite, le troisième est dissimulé au centre par celui de la gauche (10). Si on regarde le bas du hakama avec attention, les plis centraux sont un peu plus courts, et ceux des extérieurs droit et gauche, sont un peu plus longs.

"Cette infime différence de longueur dans la partie centrale favorise le Ashisabaki (déplacement) , et évite de marcher sur son hakama".

L'aspect arrière du hakama, c'est d'abord le Koshi-ita (11).
Jadis, le bushi c'était son hakamagoshi, c'est-à-dire sa silhouette tenue par un koshi-ita adhérant bien aux reins.
Comptez avec cela que le koshi-ita, fait de caoutchouc et bien ajusté, est idéal pour la santé.
Dans les fabrications actuelles, il est constitué de plastique, et au moment de saluer au sol il se redresse : ce n'est pas très beau...

Sur un vêtement de cérémonie, les rubans (Himo) sont cousus de part et d'autre du koshi-ita ; mais sur le hakama de kendô qui subit les contraintes de brusques mouvements, le ruban est d'un seul tenant.

Faisant pendant aux sasahida de devant, à l'arrière des ouvertures latérales, sont cousus les Nage (12). Et puis, symbolisant pour le bushi l'absence de duperie, n'apparaît qu'un pli (13).

La confection du umanoribakama ainsi définie, intervient le plissage qui lui confère son caractère.

Monsieur YOKOGAWA
en cours de bâti
d'un Hakama...

Le coupon taillé, l'artisan forme le machi qu'il coud à larges points pour former un fourreau ; puis il procède au plissage à l'aide d'une règle, des mains, et des pieds. Il confectionne d'abord les plis arrières qu'il faufile .
Puis, retournant l'ensemble sur l'avant, il passe les mains à l'intérieur pour former vers lui le machi.
Tout en utilisant le talon gauche pour maintenir les plis, il lisse la toile des paumes pour les "casser" et confectionne le nombre de plis successifs convenu.

"Au début je mesurais les plis à la règle, et je les marquais d'un coup de craie ; mais après dix ans de pratique je les confectionnais au coup d'oeil, sans me tromper d'un millimètre".

Tout aussi vite achevés que des Sasaori (14), il maintient les plis en pression souple sous son mètre. Après les avoir formés et faufilés, assis en demi-tailleur (15) , pinçant le tissu entre le gros et le deuxième orteil du pied gauche ramené sur lui en guise d'outil de couture, il achève de coudre les sasahida.

En très peu de temps il peut bâtir un hakama, auquel il fixe ensuite le koshi-ita et les himo avant et arrière qui seuls seront piqués à la machine.

Hakama bâti
avant piqûre finale.

(sur les calicots:
"Assemblée de
l'association du
matériel de
Budô japonais".)

"En dix petites minutes je termine le bâti d'un hakama. Jadis, un artisan maîtrisant sa technique pouvait bâtir 50 pièces par jour", conclut M. Yokogawa.

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(1) littéralement : lot n°10 du quartier Azabu.

(2) Machi (ou matashita) : longueur de la partie cousue de l'entrejambes au bas du hakama.

(3) Aihiki : à l'avant et à l'arrière internes du hakama , parties repliées, jointées et cousues entre elles qui déterminent l'entrejambe et forment chaque jambe du pantalon.


(4) Ere Genroku : 1688-1703.

(5) homme de théâtre qui monologue et joue seul en scène. (syn : naniwa bushi).

(6) Hakama "abat-jour", ou fukurobakama : hakama-sac qui ne comporte pas de machi à l'entrejambes.

(7
) Rakugo : histoire comique contée et mimée.

(8) Sasa: bambou nain.

(9) plis tronconiques qui viennent d'être décrits.

(10) Pli négligé par la grande majorité des kendoka.

(11) Littéralement : planche des hanches (reins), c'est à dire dosseret.

(12) Prononcer : nagué.

(13) Deux plis s'apparentant à "deux coeurs" (futagokoro), c'est à dire infidélité.

(14) Pliage d'aliment dans une feuille de bambou nain (sasa).

(15) Zazen no hanka.