Auteur: Kenichi YOSHIMURA (texte publié en janvier 1996 dans "l'écho des dojo")
La conception de Dojo est l'un des éléments indissociables de la pratique du Kendo.
Il n'est pas exagéré
de dire que le Kendo que nous pratiquons aujourd'hui s'est développé avec la
notion de Dojo.
Le Dojo est un espace défini à la fois physique et mental, destiné à l'entraînement.
Cependant, cette
définition du Dojo ne vient pas directement des arts martiaux car, à l'origine,
ce mot désignait la salle de travail des moines bouddhistes.
Ce n'est qu'après l'époque Edo (début XVIIè siècle- milieu XIXè
siècle) où une certaine spiritualité commençait à se marier à l'art du sabre
que l'utilisation de la salle "Dojo" devint courante.
Jusqu'alors, les
guerres successives ne laissaient pas aux Samurai de temps de
réflexion pour sublimer ultérieurement leurs entraînements en philosophie.
Le dur entraînement en période de paix les poussa à se poser des questions sur
l'essence et la signification de leur art. C'est ainsi que la "voie
du sabre" est née.
Si l'on recherche
un entraînement de qualité dans le but de purifier le corps et l'esprit, il
est souhaitable que le lieu en soit digne.
Comme les êtres humains se laissent facilement affecter par l'environnement,
il n'est pas difficile de comprendre que l'état d'esprit et la conscience des
pratiquants ne sont pas les mêmes lorsqu'ils sont dans un Dojo propre et bien
aménagé ou dans un gymnase sale.
Leur état d'esprit, leur conscience, leur comportement, leur désir de progresser,
leur courage à l'effort tout cela est d'abord soumis aux influences suscitées
par les éléments matériels qui les entourent, à moins que ceux-ci n'en soient
déjà au stade où cela les laisse indifférents: celui de la perfection ...
Pour nous qui
n'en sommes pas encore là, mieux le Dojo est aménagé et entretenu, plus l'entraînement
devient facile et efficace.
C'est pourquoi on prend toujours soin de son Dojo, très souvent en essuyant
le parquet avec un chiffon mouillé, avant et après l'entraînement. C'est une
façon de nettoyer le lieu à la japonaise.
(Je connais au moins un Dojo dans la région parisienne où les élèves le font
régulièrement et j'ai une grande admiration pour ses dirigeants.)
En France, même
si l' on accepte cette notion de Dojo, il est vrai qu'il n'est pas toujours
facile de trouver une salle adéquate et bien aménagée qui convient à cet esprit
, car c'est très souvent à une sorte de salle de sport que nous avons à faire
(aujourd'hui, c'est la même situation au Japon...).
Malgré tout, nous devons essayer, chacun ce que nous pouvons ....
Seulement il faut bien savoir si l'on est dans l'impossibilité de garder le
Dojo propre ou si l'on ne veut finalement pas faire les efforts nécessaires
....
Nous avons le respect du matériel; du Shinai qui représente le
sabre, de l'armure qui nous protège, le respect envers les camarades grâce auxquels
nous pouvons pratiquer le Kendo et enfin, le respect pour le Dojo qui nous offre
un lieu d'entraînement.
Nous savons au moins qu'on le salue à l'entrée et à la sortie. (Et c'est moins
facile quand il s'agit d'un gymnase sale !) Mais cela ne suffit pas, car le
Dojo représente un grand nombre d'éléments culturels et il faut connaître les
règles à respecter et le comportement adéquat si l'on veut ou si l'on prétend
pratiquer le Kendo autrement qu'en activité purement sportive.
Le Kendo étant une discipline basée sur la relation maître-disciple ou Senpai-Kohai,
l'ordre hiérarchique existe clairement et c'est un témoignage du respect et
de la reconnaissance des pratiquants à l'égard de ceux qui leur donnent l'enseignement
et les font profiter de leur expérience.
Cette pensée est constamment mise en application dans le Dojo, particulièrement
avec la notion du Shomen (face) (appelé aussi Kamiza
ou Joseki qui signifie "place supérieure") qui la caractérise.
Le Shomen ou le Kamiza désigne le "côté supérieur" de la salle où
doivent se placer les professeurs.
A l'origine, le Dojo qui avait un sens religieux était certainement bâti en
tenant compte des points cardinaux et l'emplacement de la face était marqué
par un autel.
Mais, comme il existe divers styles et diverses salles aujourd'hui, ce n'est
plus toujours le cas et, si nous visitons un Dojo, il faut au moins repérer
tout de suite où est le côté face. Sinon, on risque , sans le vouloir, d'être
impoli à l'égard des gens du Dojo ou des professeurs.
En règle générale, le Shomen se situe au côté le plus éloigné
de la porte.
C'est là que les professeurs se placent dans l'ordre hiérarchique, de droite
à gauche ou en sens inverse, ou encore le professeur principal se met au centre,
suivant la disposition de la salle.
Et du côté opposé, les élèves s'alignent de droite à gauche ou en sens inverse.
Le côté Shomen doit être bien dégagé et les élèves doivent éviter d'y passer
sans raison valable.
Si l'on demande
un combat à quelqu'un, le plus gradé ou le Senpai se met du côté
Shomen. Si vous avez à faire à un inconnu, il serait souhaitable (ou prudent
...) de lui proposer le côté Shomen.
Ce serait une attention délicate de votre part, car une certaine modestie est
un élément important et toujours apprécié dans le monde du Kendo.
Pour vous comporter correctement avec cette notion du côté face dans le Dojo,
vous pourriez considérer le côté face comme "l'amont" et le côté opposé comme
"l'aval". Ainsi, vous la comprendrez sans doute mieux.
Quand nous travaillons avec un professeur ou un Senpai, nous devons nous mettre
du côté aval, de façon à ne pas le regarder de haut. Nous devons nous situer
d'un rang plus bas que lui. Cela non seulement dans le Keiko mais
aussi lors du salut ou même simplement quand nous lui parlons.
Si du Dojo propre et bien aménagé se dégage une certaine beauté, les pratiquants
doivent en être dignes à leur tour. S'asseoir n'importe comment les jambes allongées
ou s'appuyer contre le mur pendant une attente.. tout cela n'est pas compatible
avec la beauté du Dojo destiné à l'entraînement du corps et de l'esprit.
Même si l'entraînement est dur physiquement, combien d'heures dure-t-il? Ne
pourrait-on pas résister? L'endurance et la patience, c'est également ce que
nous cherchons à développer à travers la pratique du Kendo.
Je constate aujourd'hui qu'il y a souvent des pratiquants qui enlèvent leur
casque sans raison valable ou sans permission du professeur ou du responsable,
ou qui entrent et sortent du Dojo pendant l'entraînement. Cela n'existait pas
en France, il y a 20 ans .
S'il ne s'agit pas d'un entraînement ouvert, spécialement organisé, qui admet
l'accès des pratiquants à tout moment, les élèves doivent accepter l'ensemble
des obligations du Dojo. S'ils se comportent à leur gré, en faisant uniquement
ce qu'il leur plaît, le Kendo ainsi pratiqué n'est plus une discipline.
Si les élèves ne savent pas ces choses-là, je dois dire que la faute en revient
aux dirigeants du Dojo. Peut-être n'étaient-ils pas suffisamment conscients
de leur importance? Ou s'agit-il de simple négligence?
En tout cas, il est grand temps que tous les enseignants , tous les responsables
de clubs et enfin tous les Senpai reprennent conscience de la notion de Dojo
et du Kendo qui s'y pratique. Si tout le monde travaille de cette manière, le
Kendo que nous pratiquons restera toujours d'une très grande qualité et je suis
sûr que nous en serons heureux.
Depuis pas mal de temps, on déplore la transformation technique du Kendo au
Japon et les Japonais ne savent pas quoi faire pour arrêter cette fâcheuse tendance.
C'est qu'il y a très peu de gens, même dans les milieux spécialisés, qui soient
réellement conscients que c'est un problème d'état d'esprit des pratiquant s
qu'on doit traiter et éduquer dans le Dojo et non pas un problème des techniques
mêmes du Kendo ni du règlement de compétition.
Heureusement pour nous, nous avons encore le temps et les moyens pour garder
notre Kendo sobre. N'imitons pas certains mauvais exemples japonais.
En relation avec le comportement dans le Dojo, je dois démystifier certaines
choses à propos du salut de fin d'entraînement, car je pense qu'il y a beaucoup
de pratiquants qui font des confusions.
Quand on salue mutuellement (Otagai ni rei), la manière de faire
la plus courante au Japon, c'est de répéter le même salut que pour les professeurs
(Sensei ni rei) dans la même position assise , aussitôt après
celui-ci.
Il remplace tous les saluts que les élèves pourraient se faire individuellement
entre eux ( et aussi aux professeurs).
Et, c'est seulement si nous voulons remercier plus particulièrement des professeurs
ou des camarades pour leurs précieuses leçons que nous les saluons individuellement.
J'ai cru comprendre qu'en France, les pratiquants pensaient que le salut individuel
était obligatoire entre les partenaires du Ji-geiko... c'est une
erreur!
C'est une mauvaise interprétation du salut individuel qui a été faite par un
Français après un séjour au Japon.
D'abord, pour remercier, il ne doit pas y avoir la différence entre les partenaires
du Ji-geiko et ceux de l'Uchikomi ou autres.
Si l'on remercie les partenaires, on remercie tous les partenaires.
Mais avant tout, il n'y a pas d'obligation pour le remerciement et on le fait
quand on est réellement reconnaissant!
Si ce n'est pas un salut sincère, il vaut mieux ne pas le faire. Là, il ne s'agit
pas d'une règle du Dojo, mais seulement de relation humaine.
Alors, vous pouvez vous comporter tout naturellement, même a votre manière,
pourquoi ne pas se serrer la main, par exemple?