Auteur
: Kenichi YOSHIMURA (texte publié
en octobre 1996 dans "l'écho des dojo")
Chacun a sa propre
motivation dans la pratique du kendo: rechercher la voie du sabre, goûter la
sensation et la concentration pour battre l'adversaire et ne pas se faire battre,
transpirer de façon agréable et énergique pour entretenir sa santé ....
Tous ceux qui pratiquent le kendo avec ces différentes motivations doivent
être reconnus en tant que pratiquants honorables du kendo à part entière.
A condition qu'ils aient la base technique nécessaire pour la pratique, ils
ont le libre choix d'adopter leur propre façon de penser sur le kendo.
Personne n'a le droit de leur imposer une philosophie quelconque.
L'armure et le shinai, outils de travail communs pour tout le monde, assurant
l'échange de la pratique entre des individus aux motivations différentes, cela
permet, d'une part, aux pratiquants d'enrichir leur acquis technique et de découvrir
de nouveaux horizons, mais il arrive, d'autre part, que cela crée des conflits
stériles entre eux.
Pour que la pratique du kendo soit profitable et harmonieuse pour tout le monde
sans tenir compte des différences de philosophie, et pour ne pas enfreindre
inconsciemment l'éthique du kendo traditionnel, il faut avant tout connaître
les règles " non écrites" pour le keiko, puis réfléchir sur son propre comportement.
Keiko avec les professeurs ou les pratiquants haut gradés placés côté face
Travailler avec
un professeur ou un pratiquant fort est dur; on frappe dans le vide, on se laisse
déséquilibrer et on s'essouffle ....
Mais résister à cette épreuve est le meilleur et le plus sûr moyen de progresser.
Les pratiquants ambitieux mettent leur casque toujours plus rapidement que les
autres pour leur demander le keiko en évitant une grande file d'attente.
L'effet d'un tel keiko ne se voit pas sur le champs, mais l'accumulation de
ces expériences fait apparaître une différence nette avec les autres pratiquants
au bout de quelques mois.
Tous ceux qui progressent bien, sans exception, même si la vitesse des
progrès varie suivant le pratiquant, ne s'épargnent pas ces efforts et là, il
n'y a aucun mystère.
Le professeur ne vient pas toujours chercher les élèves qui ne sont
pas motivés et c'est à eux de lui montrer volonté et courage.
Lorsqu'un professeur haut gradé arrive à sa place pour le keiko, il est souhaitable
qu'il y ait déjà quelques pratiquants en attente en face. Pour cela, il faut
au moins s'équiper plus vite que le professeur; c'est un geste de politesse
à son égard, qui prouve la bonne volonté des élèves.
Au japon, par exemple, quand on est nombreux dans le dojo, les élèves ambitieux
mettent leur casque en quelques secondes après le salut et se précipitent devant
le professeur. Sinon, ils manqueraient l'occasion peut-être à jamais...
Vous attendez et vous vous apercevez qu'il n'y a personne en face du professeur
qui arrive pour le keiko. A ce moment-là, courez devant lui en abandonnant votre
file, tant pis, même si vous ne vous sentez pas encore prêt pour le keiko avec
lui ....
Quand vous commencez le keiko avec lui, vous ne devez pas avoir le sentiment
d'être déjà battu, ce qui vous empêcherait de frapper avec toute votre concentration
et toute votre énergie. Autrement dit, évitez de faire un simple uchikomi, à
moins que vous ne soyez au niveau de débutant?
Il faut garder un état d'éveil du corps et de l'esprit, essayer de rester disponible
pour réagir à tout moment , créer et trouver des opportunités de frappe, et
enfin porter les coups de façon toujours concentrée. En travaillant ainsi, vous
vous sentirez épuisés au bout de 2 à 3 minutes.
Si le professeur le reconnaît, il vous fera faire le kakari-geiko, l'uchikomi
ou le kiri-kaeshi pour terminer.
Si vous jugez vous-mêmes que vous avez suffisamment travaillé en ji-geiko, vous
pouvez lui demander le kakarigeiko ou le kirikaeshi pour terminer en disant
, " arigatogozaimashita, kakari-geiko !" Dans ce cas, votre propre jugement
doit être sincère.
On ne fait jamais cela pour éviter un keiko dur. D'ailleurs le professeur ne
vous le permettra pas, s'il juge que vous n'avez pas encore suffisamment travaillé.
Il est en tout cas toujours souhaitable de terminer le geiko par le kakari-geiko
ou le kiri-kaeshi ( ou les deux!) sur votre initiative; c'est une démonstration
de votre bonne volonté, et ainsi cet effort supplémentaire contribuera à élever
encore votre niveau.
Les progrès ne dépendent pas des autres mais de vous-même.
On a parfois l'occasion de faire le keiko avec des professeurs très âgés. Malgré
leur physique manifestement affaibli, ils arrivent à montrer un kendo extraordinaire.
C'est sûrement l'un des éléments du kendo les plus attirants. Il est vrai que
parmi eux , il y a des experts indiscutables. Mais il ne faut pas se faire d'illusions
non plus; il s'agit d'êtres humains. Quand on prend de l'âge, la résistance
physique a des limites.
II y en a qui ne résisteront pas à des tai-atari très forts d'un jeune costaud
ou à des coups de tsuki (2) excessivement violents. Alors vous devez un peu
réfléchir à votre façon de faire le keiko. Car, si vous travaillez d'une façon
qui dépend uniquement de votre force physique, cela signifie que vous ne combattez
pas à armes égales et vous n'en tirerez pas grand chose comme enseignement.
Par contre, si vous prenez leur condition physique en considération et acceptez
de faire le keiko sur le même terrain qu'eux, vous vous rendrez compte de la
profondeur infinie et de la richesse technique et mentale du monde du kendo,
et vous finirez par penser :" J'aimerais pratiquer comme eux à un âge avancé!
" ou " Serai-je capable de pratiquer comme eux, à leur âge ? "
Keiko avec un partenaire d'un niveau sensiblement égal
Quand on pense
à l'aspect compétitif ( pas dans le sens de " compétition") du kendo, le keiko
entre deux pratiquants de même niveau doit être le plus amusant pour eux.
On a le même niveau technique et là, il y a indiscutablement le plaisir ludique
"frapper" ou "être frappé". Si ces deux pratiquants sont d'un niveau suffisamment
élevé, il n'y a aucun problème.
Chacun essaie d'imposer son kendo à l'autre, cherchant sa distance de frappe,
et les opportunités ....C'est le plaisir même de la pratique.
Par contre, s'il s'agît de pratiquants d'un niveau peu élevé, il faut bien être
conscient du piège qui existe. Comme tous les deux ont une base technique qui
n'est pas encore solide, ils n'arrivent pas bien à l'appliquer à la pratique
réelle du keiko.
Préoccupés par l'idée de toucher leur partenaire et ne pas se laisser toucher,
ils risquent d'attraper des défauts et de ruiner la base qu'ils ont apprise.
C'est pourquoi, il est recommandé aux pratiquants qui ne sont pas d'un niveau
élevé de ne pas trop se hasarder dans des keiko entre eux. Dans la mesure du
possible, il vaut mieux demander le keiko aux pratiquants plus expérimentés,
en attendant d'avoir atteint un niveau confirmé.
Keiko avec un débutant
Pour les pratiquants
techniquement avancés, le keiko avec un débutant est souvent monotone, lassant
ou presque du temps perdu sauf pour ceux qui sont passionnés ou responsables
de l'enseignement.
Mais n'oubliez pas que vous êtes aussi passé par là ...
Le débutant que vous avez en face pourrait devenir un pratiquant fort de qualité
dans quelques années.
S'il y parvient, c'est sûrement grâce à ses professeurs et à ses anciens, en
plus de sa volonté et de son courage. Il sera très reconnaissant à leur égard,
y compris vous qui l'aurez guidé dans le keiko avec patience.
Vous devez aussi être fier d'avoir participé à sa formation.
C'est de cette manière-là qu'on progresse en kendo et c'est de là que naît la
notion de respect mutuel du kendo.
Quand on fait le keiko en kendo, le travail n'est jamais unilatéral à moins
que vous ne le vouliez.
Si vous vous contentez de vous laisser frapper par le débutant, vous êtes simplement
un uchikomi-dai (3) mobile. Là, il est vrai que vous lui avez rendu service
mais vous n'avez pas travaillé pour vous-même. Par contre, si vous le frappez
comme vous voulez, vous dépensez votre énergie strictement pour rien et, en
plus, cela l'effraie et le décourage inutilement. C'est du temps perdu pour
les deux parties.
Alors que faire ?
Tant qu'on est débutant, on travaille naïvement, on n'arrive pas bien à saisir
sa distance de frappe devant un partenaire mobile, on ne voit pas les opportunités
et on ne constitue jamais une opposition forte vis-à-vis de son partenaire.
Alors, ces débutants seront d'excellents partenaires pour votre entraînement
technique. Ils ont appris correctement le men-uchi et ils arment le shinaï jusqu'au-dessus
de la tête; alors essayez d'attraper leur debana-men, par exemple. Vous allez
voir comme c'est difficile.
Leurs frappes ne sont pas puissantes; profitez-en pour travailler en suriage,
kaeshi, uchi-otoshi...
Leur garde n'est pas forte et leur déplacement n'est pas rapide; apprenez comment
vous imposer devant l'adversaire sans frapper ou comment vous déplacer efficacement
tout en restant en garde ....
Voilà, on peut imaginer beaucoup de sujets d'étude de ce genre.
Ainsi, vous vous laissez frapper et vous travaillez de temps en temps pour vous,
et de cette manière chacun y trouvera son compte.
D'ailleurs c'est justement cela, le " bon motodachi", excellent enseignant pour
les débutants, car ils n'ont plus à faire avec un simple uchikomi-dai mais à
une opposition réelle.
Dans tous les cas, si l'on cherche à faire un keiko de qualité, il faut sortir
tout le "ki" qu'on a, et chaque frappe doit être concentrée ( cela ne signifie
pas forcément "forte").
Chercher la détermination, avoir confiance en soi, ne pas faire d'actions farfelues
avec hésitation, ne pas avoir peur de l'échec ( ne confondez pas avec l'abandon
d'avance!).
Quand on essaie de mettre en pratique ces idées dans le keiko, il devient très
dense et intensif sur le plan aussi bien physique que mental.
Et l'on est vite épuisé, c'est normal. Alors, on s'arrête juste un peu pour
récupérer et on repart...
De cette manière, vous progresserez vite et en plus vous découvrirez réellement
l'essence du kendo.
Traîner longtemps avec un même partenaire en échangeant des frappes de mauvaise
qualité ne vous servira pas à grand-chose.
Je vous souhaite de bons keiko!
(1): Keiko: toute
forme d'entraînement en Kendo
(2): Tsuki: coup d'estoc, à la gorge en général
(3): Uchikomi-Dai: manequin fixe d'entraînement